dimanche 10 septembre 2023

75 STREET GANG HELL DENIM

 




































 HELL DENIM – Les vestes des gangs de rue


Cultures graphiques criminelles


Ce terme regroupe des pratiques artistiques sauvages, contestataires, interdites, clandestines, précaires, éphémères, oubliées, disparues, en dehors de toutes références académiques, de reconnaissance institutionnelle et des codes esthétiques imposés par les classes dominantes (avant leur récupération éventuelle par celles-ci).
Ces pratiques nous interrogent par rapport à leurs implications sociales car elles sont issues de classes populaires défavorisées, dévalorisées et exclues. 
Elles donnent naissance à des styles (musicaux, vestimentaires, graphiques) radicaux et contestataires, souvent neutralisés par les classes dominantes suite à un processus de récupération commerciale (d’où vulgarisation et dilution).



Les vestes des gangs de rue

L’origine de ce style vestimentaire remonte à la Seconde Guerre mondiale et aux blousons en cuir des équipages de l’aviation américaine décorés avec des motifs peints (pinups, têtes de mort, personnages de cartoon…). Cette pratique artistique est à rapprocher des peintures qui décoraient les carlingues des avions (« Nose Art »).
Elles étaient répandues surtout dans l’armée américaine et tolérées par la hiérarchie militaire car elles remontaient le moral des troupes (le taux de perte dans les équipages de bombardiers s’élevait jusqu’à 30%).






















Après-guerre, de nombreux vétérans en rupture avec la société civile ont créé des bandes de motards (les Motorcycles Clubs ou MCs) , dont les célèbres Hells Angels. Certaines se sont criminalisées et sont devenues des gangs hors-la-loi (les « One Percenters » ou MCs 1%). Cette veste, au dos couvert d’insignes des clubs, était l’élément vestimentaire le plus visible (appelé aussi « couleurs ») de cette culture rebelle. Dans les années 1950, pour des raisons pratiques, les clubs ont remplacé le cuir des blousons par du denim, plus léger, et les manches étaient coupées (d’où la naissance du terme cuts désignant ces vestes). 
Au cours des années 1960, surtout en Californie, le mode de vie radical et le style vestimentaire de ces bandes de motards ont profondément marqué la « contre-culture », et par ricochet le cinéma (où on commence à voir des films de gangs de bikers, comme Wild Angels avec Peter Fonda et Nancy Sinatra), le rock, la mode…
Au départ, l’univers des gangs de motards s'avère essentiellement masculin et hostile. Cependant, certaines femmes y portaient des cuts à l’instar des hommes.
La composition de ces gangs reflétait également des affirmations identitaires, par exemple les East Bay Dragons d’Oakland étaient exclusivement afro-américains, les Mongols d’origine mexicaine… 
Certains photographes, qui faisaient parfois partie de ces gangs, ont laissé des références visuelles : Jim « Flash » Mittel et Danny Lyon (gang des Outlaws de Chicago), Bill Ray (Hells Angels de Californie).












































Aujourd’hui, le collectionneur californien Jeff Decker a recueilli et conservé des centaines de vestes de gangs de cette époque, notamment celles des Straight Satans qui furent liés à l’affaire Charles Manson.











Ce mouvement s’exporte en Europe dès la fin des années 50, d’abord avec le rock, la moto, puis avec l’arrivée des premiers clubs de bikers « hors-la-loi » d’abord en Suisse, puis aux Pays-Bas, en Angleterre et en France.
Le photographe suisse Karlheinz Weinberger a livré des témoignages photographiques étonnant sur l'émergence de la culture rock dans son pays. Redécouvert récemment, son travail a fait l'objet d'expositions et d'éditions largement médiatisées.









Le rock débarque en Angleterre dans les années 50 et donne naissance à un style typiquement britannique dont les punks s'inspireront largement 20 ans plus tard.









En 1975, le photographe américain Ken Pate, installé à Paris, immortalise les rockers des bars de la rue de la Roquette (place de la Bastille), à cette époque quartier très populaire.








Le photographe Yan Morvan a documenté cette période tout en étant le premier reporter à se pencher sur la question de la France des « périphéries », celle des laissés-pour-compte du miracle économique, des loubards des grands ensembles et autres HLM, héritiers des Apaches des Fortifs’ et de la Zone du début du siècle dernier.







A la fin des années 70, le mouvement punk exploite le style des cuts afin de customiser les vestes en les transformant en « manifestes textiles » provocateurs.












Le cut est aussi devenu l’élément central de la panoplie vestimentaire des hard rockers. Chacun se devait de posséder la plus belle battle jacket de l’univers, à l’effigie de son groupe préféré.























Toujours dans les années 70, aux États-Unis et en particulier à New York, ces cuts iconiques ont été adoptés par les gangs urbains issus des minorités (Ghetto Brothers, Savage Skulls…). Ces gangs, fascinés à la fois par les Black Panthers dont ils reprennent en partie les aspirations idéologiques, et par les Hells Angels dont ils s’inspirent au point de vue de l’habillement, sont immortalisés par plusieurs photographes (Jean-Pierre Lafont, John Shearer…). 
Le documentaire « 80 Blocks From Tiffany’s » réalisé en 1979 retrace la vie quotidienne de deux gangs du South Bronx, les Savage Skulls et les Savage Nomads :






















Sous l’impulsion d’Afrika Bambaata, ancien membre des Black Spades du Bronx devenu DJ, un nouveau mouvement prend son essor : le hip-hop. 
Prônant la paix et l’unité, mêlant musique, danse et graffitis, le hip-hop supplante la culture violente des gangs et s’empare à son tour de ce style vestimentaire. 
Deux documentaires soulignent le rôle des gangs du Bronx dans l’émergence du hip-hop : « Rubble Kings » et « Flyin’ Cuts Sleeves » :















Ce style tribal existe encore aujourd’hui, notamment en Nouvelle-Zélande avec le gang des Mongrels (photos de Jono Rotman) et le gang maori Black Power (photos de Casey Morton).













Aujourd’hui, différents artistes se sont réappropriés les codes des vestes de gangs pour les détourner en les mélangeant avec d’autres influences liées à la culture populaire, notamment le tatouage old school et les bouzilles (tatouages primitifs des bagnes).

L'artiste Ben Venom travaille à partir de tissus de récupération.














Camille Lavaud-Benito utilise du vinyl découpé.











La Réponse, concept créé par Moolinex et Aurélie William Levaux, est une espèce de faux gang de rue "philosophique" exploitant les codes graphiques du heavy metal et détournant des citations avec des jeux typographiques.

La Réponse et les Mad's City Rockers dans le clip de Coubiac :
































L'artiste peint sur des vestes en denim des motifs directement inspirés des tatouages des Apaches, les voyous parisiens du début du siècle dernier.